L'Orient trouble les eaux : Le retour de Kabila ravive les fantômes du passé

L'ombre d'Étienne Tshisekedi, figure tutélaire de l'opposition congolaise, plane étrangement au-dessus des débats passionnés qui agitent la nation. Son spectre est convoqué aujourd'hui pour éclairer, voire obscurcir, la perspective du retour imminent de l'ancien président Joseph Kabila. Que l'on cesse de gloser avec légèreté sur le point précis où l'ancien chef de l'État posera le pied sur le sol natal. Car une logique implacable, héritée des fondements mêmes de la pensée rationnelle, nous contraint à une introspection profonde.
Si l'on érige en principe que franchir les frontières par une région gangrénée par la rébellion constitue un acte de forfaiture, une trahison envers la patrie, comment interpréter alors les échos du passé ? L'histoire nous rappelle qu'Étienne Tshisekedi lui-même, figure emblématique de la lutte démocratique, avait choisi cette même porte orientale, alors sous le contrôle du RCD. Et aujourd'hui, Joseph Kabila, observant la nation depuis son exil, envisage un retour par cette même région, marquée désormais par l'empreinte du M23/AFC.
La déduction est aussi tranchante qu'une lame : si l'on maintient ces prémisses, alors un lien troublant se tisse entre ces deux figures majeures de l'histoire congolaise. Le spectre de la compromission, voire de la trahison potentielle, plane au-dessus de leurs choix territoriaux. L'histoire, avec ses douloureuses résonances, devient un tribunal où les actes d'hier éclairent les intentions d'aujourd'hui, révélant des similitudes dérangeantes dans le champ miné de la loyauté et de l'unité nationale.
Le 26 avril 2002, un épisode crucial de notre histoire met en lumière cette complexité. Le RCD-Goma, soutenu par le Rwanda, s'alliait à d'autres forces politiques, formant l'Alliance pour la sauvegarde du dialogue intercongolais (ASD), sous la direction d'un certain Étienne Tshisekedi. Leur objectif déclaré : poursuivre les négociations de Sun City et établir un nouvel ordre politique. Ironiquement, l'ASD avait son quartier général à Kisangani, en plein cœur de la zone rebelle.
Des clichés d'époque figent cet instant : Étienne Tshisekedi aux côtés des figures de proue de la rébellion du RCD-Goma, des hommes comme Azarias Ruberwa et le général Laurent Nkunda. Comment en était-on arrivé là ? La quête de la paix, après les sanglants débuts de la deuxième guerre, avait mené à des alliances pour le moins paradoxales. Les tentatives initiales de cessez-le-feu, orchestrées par Mugabe et Kadhafi, avaient échoué. L'accord de Lusaka, sous l'égide de Tshiluba, n'avait pas réussi à asseoir les belligérants à la même table. Laurent-Désiré Kabila refusait catégoriquement de négocier avec des mouvements qu'il considérait comme des marionnettes étrangères.
Il faudra attendre son assassinat, en 2001, pour que les lignes bougent. Sous la présidence du jeune Joseph Kabila, une "déclaration des principes fondamentaux des négociations" fut signée, ouvrant la voie au dialogue intercongolais de Sun City. Pourtant, les divergences persistaient, notamment entre le RCD-Goma et une partie de l'opposition, dont Étienne Tshisekedi. L'"Accord des Cascades" fut finalement signé entre le gouvernement, le MLC de Bemba et d'autres factions, marginalisant l'UDPS et le RCD-Goma.
La réaction ne se fit pas attendre. L'ASD vit le jour à Johannesburg, avec Étienne Tshisekedi à sa tête, visitant même les zones rebelles, Kisangani en tête. La communauté internationale pressa à la reprise du dialogue, qui aboutit finalement à l'Accord Global et Inclusif de Pretoria, consacrant la formule "1+4", mais laissant une fois de plus Étienne Tshisekedi en marge.
Aujourd'hui, l'histoire semble bégayer. Joseph Kabila, en exil depuis près d'un an et demi, manifeste son intention de revenir par cette même partie orientale, où des villes importantes sont sous l'emprise du M23/AFC, soutenu par le Rwanda. L'incertitude plane quant au point précis de son "pèlerinage national". Dans ce climat de crise sécuritaire, les voix s'élèvent, les analyses divergent. Pour certains proches du pouvoir actuel, cette démarche lève le voile sur des alliances longtemps dénoncées, assimilant Kabila à ceux qui sèment le chaos à l'Est. Cette intention est perçue par nombre de Congolais comme une manœuvre trouble, ouvrant la voie à toutes les manipulations.
Alors, faut-il condamner aujourd'hui ce qui fut toléré, voire instrumentalisé, hier au nom d'une paix fragile ? Le spectre d'Étienne Tshisekedi, visitant les bastions rebelles, hante-t-il le choix de Joseph Kabila ? L'histoire congolaise est un labyrinthe complexe, où les alliances d'hier peuvent devenir les anathèmes d'aujourd'hui. Le retour de l'ancien président par l'Est n'est pas qu'une question logistique ; c'est une démarche lourde de significations, ravivant des blessures profondes et posant une question fondamentale : au nom de quoi jugeons-nous les actes d'hier à la lumière des défis d'aujourd'hui ? La nation attend des réponses claires, au-delà des anathèmes et des procès d'intention.
Guyvenant MISENGE