1er Mai en RDC : La fête du travail sonne creux, l'État paie en misère

Alors que le globe vibre au rythme des célébrations du 1er mai, honorant la sueur et les victoires des travailleurs, en République Démocratique du Congo, un silence pesant écrase toute velléité de réjouissance. Ici, la Journée Internationale des Travailleurs n'est pas une commémoration, mais une douloureuse piqûre de rappel : celle d'une survie quotidienne où le salaire, pilier fondamental de la dignité, se fait cruellement attendre.
La matinée a pourtant débuté par un message du ministre des Finances publiques, Doudou Fwamba, diffusé sur X (anciennement Twitter). Un message teinté de vœux pieux, adressé aux "vrais" agents et fonctionnaires de l'État, ces "héros des services publics". Des salutations particulières ont été envoyées aux militaires et policiers, gratifiés d'un double salaire en avril, et aux fonctionnaires des administrations centrales, payés avant la fin du mois écoulé. Quant aux autres, ceux dont les comptes bancaires restent désespérément vides, le ministre les a invités à se rapprocher de leurs banques, assurant que les fonds avaient été "envoyés". Un mot a même été glissé à l'intention des populations de Goma et Bukavu, les encourageant à utiliser le mobile money ou les services bancaires via Beni, Butembo et Uvira. Le mantra asséné par le ministre ? *«Aucun retard de la Paie, c'est la marque du Gouvernement de l'exemplarité qui refuse tout scandale de corruption et détournement.»*
Sauf que la réalité, têtue et implacable, s'est empressée de doucher cet optimisme affiché. À peine quelques minutes après sa publication, le message ministériel a essuyé un tir nourri de critiques cinglantes. Une première réaction, d'une virulence rare, a qualifié Doudou Fwamba d' « incompétent » et de « menteur », l'accusant de sacrifier la vérité sur l'autel de son image. L'auteur, se présentant comme un fonctionnaire parmi tant d'autres, a catégoriquement démenti tout paiement, pointant du doigt le décalage abyssal entre les paroles du ministre et le vécu quotidien. La charge s'est ensuite déplacée sur le terrain personnel, interrogeant avec une ironie mordante l'absence supposée de diplôme universitaire du ministre, liant ce manque à la « tête vide » dont les Congolais et les fonctionnaires paieraient aujourd'hui le prix fort.
Un autre écho, tout aussi désabusé, a rapidement suivi : « Maintenant allons-nous fêter avec faim dans nos ventres ? »L'interrogation, poignante de simplicité, résume à elle seule le sentiment d'une majorité silencieuse. Un internaute a renchéri, s'interrogeant sur la nature du message ministériel : « C’est une déclaration, communiqué ou une campagne de sensibilisation ? Cher ministre Doudou Fwamba vous avez perdu le repère ».
Sur le terrain, loin des écrans et des promesses virtuelles, le son de cloche est unanime. Malgré les assurances du ministre et d'autres figures gouvernementales, de nombreux fonctionnaires affirment n'avoir toujours pas perçu leur dû. Ce 1er mai, loin des hommages vibrants observés ailleurs, la RDC résonne d'un cri sourd, celui d'une précarité qui ronge les fondations de l'État.
Pour ces hommes et ces femmes qui incarnent les services publics, chaque nouveau mois n'est pas synonyme de projets et d'espoirs, mais d'une angoissante équation à résoudre : comment survivre sans salaire ? Un jeu macabre où les pions sont les dettes qui s'accumulent, les négociations tendues avec des créanciers à bout de patience, et l'impossible quête pour nourrir une famille dont les besoins, eux, ne connaissent aucun répit.
Des mois s'égrènent, effritant la patience, l'espoir et, trop souvent, la dignité. Ces agents de l'État ne comptent plus les jours les séparant d'une paie chimérique ; ils tiennent méticuleusement le registre des ardoises qui s'allongent chez l'épicier, des factures d'électricité qui plongent leurs foyers dans l'obscurité, des frais de scolarité qui hypothèquent l'avenir de leurs enfants.
Cette situation n'est pas une simple anomalie, une regrettable coïncidence. Elle est le symptôme d'une gangrène profonde, celle d'une gestion budgétaire chaotique qui broie la force vive de la nation. Comment exiger engagement et dévouement de ceux dont les efforts ne sont même pas récompensés par une rémunération régulière et ponctuelle ? Comment bâtir un État solide sur les fondations branlantes de fonctionnaires étranglés financièrement ?
Alors que le monde célèbre à juste titre les droits fondamentaux des travailleurs, la RDC offre un contrepoint saisissant, un rappel brutal que la lutte pour la justice sociale et la reconnaissance du labeur est loin d'être une victoire universelle. En ce 1er mai, nos pensées se tournent vers ces agents de l'État congolais, pris au piège d'un système qui célèbre la fête du Travail en leur infligeant la misère. Leur silence n'est pas résignation, mais une attente fébrile d'un jour où leur travail sera enfin honoré, où chaque début de mois rimera avec dignité et non avec la lancinante question : « Comment allons-nous tenir le coup ? » La communauté internationale, les organisations de défense des droits de l'homme, peuvent-elles rester sourdes à cette injustice criante ? L'écho de leur silence ne ferait qu'aggraver la dissonance de cette fête du travail amère. Il est temps que la mélodie change, que la dignité du travail retrouve sa pleine résonance en République Démocratique du Congo.
Guyvenant Misenge